Actualité - Dossier

16 oct. 2018
Dossier

Pourquoi les services météorologiques ont été à la hauteur

Écrit par Stéven Tual, publié le 16 oct.

A la suite des fortes intempéries qui ont causé de très nombreux dégâts dans le département de l'Aude, les services météorologiques ont été pointés du doigt à tort. On vous explique notre point de vue sur cette situation météorologique.

Un événement exceptionnel et nocturne

Les épisodes cévenols tels que nous les connaissons en Méditerranée sont réguliers en cette période de l'année. C'est souvent en automne lorsque la masse d'air chaud et humide remonte de Méditerranée et est poussée vers les terres par un vent marin que des nuages se forment. Ensuite, cet air chaud s'éleve en étant poussé sur les reliefs des Cévennes. Au contact de l'air plus froid d'altitude, l'humidité dans la masse d'air se condense et ainsi les nuages grossissent et évoluent jusqu'en cumulonimbus (nuages d'orages). Ces nuages restent bloqués par le relief au pied des montagnes et les mêmes localités subissent alors des pluies stationnaires violentes et durables. Ce qui, en chaîne, entraîne un gonflement des cours d'eau. C'est exactement ce qui s'est déroulé durant cet épisode dans le département de l'Aude. Le ruissellement est accéléré par la pente d'où une montée des eaux très rapide. Dans le cas de cette tragédie, il faut ajouter un carburant supplémentaire, c'est de l'air subtropical lié à l'ex-ouragan Leslie, qui a concerné le week-end auparavant la péninsule ibérique. Cet air subtropical a été un complément d'air chaud et humide qui a pu contribuer à accentuer les intensités des précipitations. Le mécanisme connu a-il été bien anticipé par les services météorologiques ? Voici le déroulement des faits :

Les prévisions très pluvieuses de Météo France ciblaient parfaitement la zone touchée puisque quatre département avaient été placés en vigilance orange pour \"pluie-inondation\" et \"inondation\". En effet, le communiqué était le suivant : \"du Roussillon à l'Hérault jusqu'au sud du Tarn, épisode méditerranéen très actif en deuxième partie de nuit de dimanche à lundi et lundi en journée\".

Une vigilance orange a été diffusée le dimanche à 10h20 et réactualisée à 16h00 par les services de Météo France avec l'ajout de deux départements (l'Aveyron et la Haute-Garonne). Les premiers suivis de Météo-France confirment la prévision avec des précipitations qui s'intensifient. A 22h, toujours en vigilance orange, Météo France remet en garde : \"durant la nuit prochaine les conditions vont se dégrader fortement avec l'arrivée de pluies orageuses tout d'abord sur le Roussillon, l'Aude, le sud du Tarn, le Nord-est de la Haute-Garonne, l'Hérault et l'Aveyron. Sur l'épisode les cumuls de pluies attendus sont : sur le Sud du Tarn, l'Aveyron et le Nord-Est de la Haute-Garonne, 40 à 60 mm, localement 100 à 120 mm sur le relief (Monts de Lacaune, Montagne Noire), sur l'Hérault, l'Aude et les Pyrénées Orientales de l'ordre de 100 à 120 mm localement 150 mm en plaine et jusqu'à 180 mm sur les zones de relief sur une période de 24h.\"

La vigilance rouge a finalement été émise à 6h, au cœur de l’événement pluvieux mais alors que le pic de crue n'était pas encore atteint à Trèbes (l'une des communes dévastée au cours de l'épisode). En effet, à la mise en place de la vigilance rouge, les relevés du niveau de l'Aude à Trèbes affichaient un peu plus de 5 mètres. Cette hauteur d'eau est de plus de deux mètres inférieure à la hauteur maximale, atteinte entre 7h50 et 8h30. 

On peut rappeler que la mise en place d'une vigilance rouge ne dépend d'ailleurs pas uniquement de Météo France. Elle dépend des préfectures, des mairies concernées, de la sécurité civile qui coordonnent à eux trois les opérations à mettre en œuvre sur le plan local et départemental. Cette responsabilité distribuée induit forcément une réactivité plus faible, indépendamment de celle du service météorologique. Dans le cas de l'Aude, il faut ajouter le fait que cette catastrophe s'est déroulée en période nocturne, lorsque les effectifs des services administratifs sont moins nombreux, et donc où la diffusion de l'alerte a pu prendre plus de temps. 

La prévision météorologique progresse malgré tout

Avant 2007, Météo France avait un taux de pertinence de 70% pour une vigilance orange. Depuis cette date, la pertinence d'une vigilance orange est de 80%. Ces progrès sont à mettre au crédit des moyens qui sont de plus en plus performants. Les supercalculateurs qui sont les outils qui servent à établir une prévision,  réalisent des milliers de milliards de calculs toutes les minutes. Aujourd'hui, les modèles météorologiques nous permettent d'avoir une vision globale assez précise du temps jusqu'à deux jours et une vision générale jusqu'à six ou sept jours parfois. Néanmoins, la prévision d'un phénomène très local comme une tornade, un épisode pluvieux local qui concerne quelques communes, un orage, du brouillard ou encore de la grêle n'est pas encore suffisamment localisable avec précision. On parle davantage de risque météorologique pour ces phénomènes. Certains modèles météorologiques permettent un maillage très fin du territoire ; le modèle AROME de Météo France par exemple travaille à l'échelle de maille de 2,5 km de côté, ce qui, il y a dix ans, était totalement inconcevable. Si certains phénomènes sont mal appréhendés, d'autres en revanche le sont beaucoup mieux. C'est le cas des épisodes venteux, des trajectoires de cyclone, des épisodes caniculaires ou encore des réactions hydrographiques. En effet, grâce à une technologie de pointe, les phénomènes d'une grande superficie géographique sont nettement mieux anticipés. C'est aussi le cas des crues des cours d'eau. Grâce à des réseaux d'observation toujours plus fournis, à des organismes comme Vigicrue et à un accès aux données en temps réel, nous arrivons à anticiper une onde de crue et à prévenir à l'avance une population d'une intempérie.

Vigilance orange, elle a un sens !

La vigilance météorologique a été mise en place après les deux tempêtes dévastatrices des 26 et 27 décembre 1999 (Lothar et Martin). Les ingénieurs de Météo France et les pouvoirs publiques ont d'ailleurs retravaillé à plusieurs reprises ces systèmes d'alertes. D'autres paramètres ont été intégrés à la carte de vigilance : le grand froid et la canicule à la suite de la grande canicule de 2003 et le phénomène vague-submersion à la suite de la tempête Xynthia en 2010. Enfin depuis quelques années, la surveillance des cours d'eau est à la charge de Vigicrue et une vigilance inondation a été mise en place.

La vigilance orange est un outil qui ne doit pas être banalisé. Elle permet de prévenir de phénomènes dangereux qui sont prévus. Météo-France mentionne dans ce cas \"Soyez très vigilant, des phénomènes dangeureux sont prévus. Tenez-vous informés de l'évolution de la situation et suivez les conseils de sécurité émis par les pouvoirs publics\". Beaucoup l'ignorent mais la mise en place de ce dispositif est systématiquement liée à un risque de phénomène dangereux pouvant potentiellement causer des dégâts matériel ou faire des victimes. En France, la vigilance orange intervient de façon régulière. Par exemple, pour le département de la Meuse, on décompte 26 jours de passage en vigilance orange en 2018. Cette outil est récent et permet à la population d'avoir un suivi précis de la situation. Néanmoins, la vigilance orange n'est souvent pas interprétée de la sorte par le grand public qui sous-estime le risque et reclasse mentalement souvent la notion de vigilance météo à une simple prévision météo. Le sens du mot vigilance n'est pas suffisamment intégré ou pris au sérieux alors qu'il représente un potentiel danger. À cause de ce manque de rigueur répandu dans la population, nous n'avons pas les bons comportements de base, ni la bonne lecture. Cela bien que sur le site officiel de Météo France, les conseils et comportements à suivre sont très sensibilisateurs : \"Renseignez-vous avant d’entreprendre un déplacement ou toute autre activité extérieure. Ne vous engagez en aucun cas, à pied ou en voiture, sur une voie immergée ou à proximité d’un cours d’eau. Un véhicule même un 4x4, peut être emporté dans 30 centimètres d’eau. Tenez-vous informés, suivez les consignes de sécurité, souciez-vous de vos voisins et prenez les précautions adaptées. Ne descendez en aucun cas dans les sous-sols durant l’épisode pluvieux. Mettez préventivement vos biens à l’abri des eaux.\"

Que faire face à notre faible culture du risque ?

Dans le cas de l'Aude, il est compliqué d'avoir une réponse précise mais plusieurs éléments peuvent être pointée du doigt. Parmi ces éléments, on remarque que les services météo ne sont pas forcément une nouvelle fois au centre du dispositif. Tout d'abord, il y a eu des aberrations dans l'urbanisation et l'aménagement du territoire.

Communément, on parle souvent du lit d'une rivière. Pourtant le lit d'une rivière est composé de deux parties. Le lit mineur qui est la partie où le cours d'eau circule la majeur partie du temps. Le lit majeur est la partie inondée en cas de crue. En raison d'une législation plus laxiste par le passé, beaucoup de promoteurs, de personnes souhaitant faire construire, etc. ont sous-estimé cette distinction entre lit mineur et lit majeur. 

Pour mieux comprendre tout cela, faisons un peu d'histoire. Les hommes se sont toujours installés au bord des cours d'eau pour pouvoir vivre de l'agriculture, puiser de l'eau plus facilement dans les sols. De là, les villes se sont développées au bord des cours d'eau souvent en harmonie avec la nature jusqu'à l'ère industrielle. En effet, depuis cette époque, les évolutions technologiques ont été très rapides et souvent sans une pleine compréhension de l'environnement qui nous entoure. Depuis le XXe siècle, les rues sont bétonnées et la pression immobilière est exacerbée face à des enjeux économiques toujours plus importants. L'homme a construit dans le lit majeur des infrastructures. Il s'est même arrêté aux portes du lit mineur. Pire, en bétonnant les villes, nous avons accentué deux fléaux. Le premier, c'est l’augmentation de la vitesse de la propagation de l'eau et le second c'est imperméabilisation des sols. Dans ce processus, vous l'avez compris un cours d'eau se concentre dans le lit mineur mais quelquefois par siècle, il sort de son lit pour naturellement s'étendre sur le lit majeur. Les conséquences de l'urbanisation sur la nature sont par conséquent des dégâts impressionnants. 

Il y a donc deux manières de voir les choses. La première, c'est de prendre en compte ces risques pour l'aménagement du territoire et donc de revenir à plus d'espaces naturels et perméables sur le lit majeur. La seconde, c'est d'assumer et d'avoir une vraie culture du risque. Avec les moyens technologiques dont nous disposons aujourd'hui, il était sans doute possible d'anticiper la catastrophe. A l'avenir si les catastrophes vont augmenter, nous devrons être sensibilisés par la technologie et de manière réactive à ces phénomènes. Le rôle de l'école et de la connaissance de son territoire semblent être les premiers pas vers cette adaptation. 

On a pu désigner les systèmes d'alerte comme responsable de cette tragédie. Pourtant, on s’aperçoit malgré tout que beaucoup d'autres facteurs s'ajoutent à la simple mise en cause de Météo-France. Et nous sommes les premiers responsables de comportements qui ne sont pas adaptés face à un aléa météorologique ou naturel. Nous n'arrêterons pas les catastrophes naturelles mais nous pouvons mieux les appréhender.

Stéven Tual

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